L'oiseau vert, Carlo Gozzi - mise en scène par Laurent Pelly
L'oiseau vert de Carlo Gozzi conte l'histoire du voyage initiatique de jumeaux épris de livres et de philosophie. Pour un siècle pénétré de l'esprit de raison, la pièce de Gozzi, qui fait parler les statues et qui fait chanter les pommes, se signale par son intrigue rocambolesque.
Tartagliona, reine-mère acariâtre et bouffonne, a ordonné à son Premier ministre Pantalone de supprimer les enfants jumeaux du couple royal. Incapable de mener ce cruel projet à son terme, Pantalone les a confiés à un couple de bouchers, Truffaldino (remarquable George Bigot, tout en veulerie caressante et lâche) et Sméraldina. Barbarina et Renzo (les jumeaux), en grandissant, se sont amourachés de la philosophie : c'est quotidiennement qu'ils devisent, enflammés, sur le monde. Truffaldino finit par les chasser de chez lui. Après le dénuement viendra l'opulence, on les verra ainsi se décharger des principes philosophiques dont il s'étaient jusque là encombrés l'esprit. Ils seront mis à l'épreuve et chacun connaîtra son lot d'aventures.
Les statues tissées de voilages translucides, habitées par des comédiens et mises en valeur par de subtils jeux de lumière ainsi que les pommes aux allures de « Claudettes », sorties de leur verger et qui entonnent un air envoûtant et sensuel, conspirent à la création d'un univers étrangement poétique.
Si l'intrigue est touffue, L. Pelly a pris le parti du dépouillement (tout relatif). Il y est d'ailleurs bien contraint. Faire tenir sur la scène deux immenses châteaux impose le recours à l'artifice, au symbole. Deux cadres figurent donc tout à la fois les fenêtres des châteaux et les châteaux eux-mêmes.
Par ailleurs, l'esthétique du dessin animé et du conte irrigue la mise en scène. La terrible Tartagliona, araignée grotesque, évoque irrésistiblement la méchante sorcière dans Blanche Neige avec ses longs cheveux blancs, ses yeux exorbités et sa cape noire.
Les costumes des jumeaux, où les volants le disputent aux frou-frou, leur donnent un air bouffon. En haillons, il se faisaient volontiers philosophes. L'opulence les empèse.
La reine et son fils, quant à eux, sont affublés de costumes sombres et pathétiquement ridicules. Grossièrement efféminé.Des jeux de lumières sont en plus mis en place pour renforcer cette distinction entre les jumeaux et le château de Tartagliona. Le château de Barbarina et Renzo apparaît éclairé d'une lumière vive et intense tandis que celui de la méchante reine et son fils, tout comme leur costumes, est plongé dans une obscurité menaçante.
Ce
manichéisme, un peu simpliste, rappelle inévitablement les codes de
la Comedia del arte, sorte de typologie de la société du XVIII ème
siècle qui permet de repérer au premier coup d'oeil le type qu'est
censé caractériser le comédien. Le costume en relation visuelle
directe avec le spectateur était alors un formidable vecteur de
sens.
Ici
il n'est pas question d’identifier la fonction sociale des
personnes mais plutôt des traits de caractère, l'esprit des
personnages signifié par le choix du costume. Les personnages sont
alors stéréotypés, rangés dans d'étroits stéréotypes moraux.
Ne
pourrait-on pas alors considérer ce manichéisme comme un peu
réducteur, les personnages étant bien plus complexes qu'ils ne
semblent avoir été visuellement représentés.
L.
Pelly détourne les codes de la Comédia, joue avec eux pour mieux
jouer avec le spectateur et donne à entendre un texte qui vient
complexifier et diversifier les typologies visuelles un peu
réductrices.
La
mise en scène a un coté très léger, enfantin qui colle au texte
et permet de faire subtilement passer un message beaucoup plus grave
qu'il n'y paraît. Sous ses airs des fable pour enfant merveilleuse
se cache une parodie caustique et satirique.
Le
rapport des hommes à l'argent y est étroitement critiqué. En
effet, sitôt devenus riches, Barbarina et
Renzo pleins d'un moralité philosophique exacerbée l'abandonne et
mettent de coté cet idéal moral. Trufaldino, leur père adoptif,
qui les méprisait jusque la, n'hésite pas à venir se prosterner
aux pieds de son fils afin que celui-ci lui offre un emploi. Mais les
enfants oublient bien vite les liens du cœur pour se concentrer sur
leur nouvelle fortune.
Cette
critique fait écho à celle faite par de la Fontaine dans sa fable,
Le savetier et le financier, qui condamne les conséquences découlant
d'une trop grande fortune.
« Rendez-moi
mes chansons et mon somme, et reprenez vos cent écus » écrit
de la Fontaine, qui dénonce alors l'abondance d'argent comme une
décrépitude de la morale.
Ce
bric à brac mêlant les codes de la comedia del arte, du conte, de
la fable, du dessin animé, du cinéma, de l'opéra fonctionne
étrangement bien et devient un conte féérique piquant et
sarcastique.




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